Individualisation

La récompense au mérite est contreproductive

L'intention est d'inciter à travailler plus

La récompense au mérite a été mise en place pour inciter les gens à travailler plus. Une formule qui défend le mérite, c'est le fameux travailler plus pour gagner plus.

Problèmes avec le mérite

La constatation des problèmes provoqués par la méritocratie ne date pas d'aujourd'hui. En 2007, Esther Derby, citait Deming (oui celui de la roue).

  • Mauvais résultats de l'équipe à cause de la compétition

Voici le texte de Deming :

The idea of merit rating is alluring. The sound of the words captivates the imagination: pay for what you get; get what you pay for; motivate people to do their best, for their own good.

The effect is exactly the opposite of what the words promise. Everyone propels himself forward, or tries to, for his own good, on his own life preserver. The organization is the loser.

Merit rating rewards people who do well within the system. It does not reward attempts to improve the system.

Plus récemment le livre de Michael Sandel La tyrannie du mérite choisi pour un klub de lecture, dont voici la 4e de couverture :

Face aux écueils d'une méritocratie qui engendre excès d'orgueil et humiliation, Michael J. Sandel rappelle qu'il est plus que jamais nécessaire de revoir notre position vis-à-vis du succès de l'échec, en prenant davantage en compte la part de chance qui intervient dans toutes les affaires humaines et en prônant une éthique de l'humilité plus favorable au bien commun.

  • Insécurité psychologique

Pourtant cela reste une croyance forte, qui entraîne de la souffrance au travail. Cette souffrance vient de l'insécurité psychologique des coéquipiers, de la peur qu'on ne reconnaisse pas leur mérite.

L'évaluation du mérite est pratiquée avec les entretiens annuels avec des managers qui assignent des objectifs individuels.

Cette pratique pousse à une compétition exacerbée pour montrer qu'on mérite d'être mieux payé. De nombreuses études (citées dans le livre de Sandel) prouvent que les résultats collectifs sont moins bons.

Donc, en plus de la souffrance pour ceux qui la subissent, la récompense au mérite entraîne de moins bons résultats pour le sponsor et une qualité dégradée pour les utilisateurs, car on est poussé à se faire bien voir du manager plutôt qu'à satisfaire les besoins des utilisateurs.

Voir aussi ce qu'écrit Christophe Dejours sur l'évaluation individuelle.

Spécialisation

La spécialisation pousse à l'individualisme

L'intention est de maximiser la performance

Dans sa recherche d'optimisation de la performance, le management a poussé la logique de division du travail avec la spécialisation. En effet, en allouant les tâches à des spécialistes (susceptibles d'aller plus vite), la croyance est que la performance sera optimale.

On a donc cherché à spécialiser les travailleurs dans les compétences qu'ils possédaient déjà, et en les renforçant.

Problèmes avec la spécialisation

  • Silos

Des optimisations locales ne donnent pas une optimisation globale. En fait un travail qui passe par différents spécialistes provoque des goulets d'étranglement. L'organisation en silos de spécialistes provoque des dépendances, et finalement une moins bonne productivité pour le sponsor.

  • Manque d'ouverture d'esprit

Pour les travailleurs eux-mêmes, la spécialisation amène à un manque d’ouverture sur le travail des autres ; elle entraîne de l'ennui dans le travail, un manque de curiosité, un statu quo dans leurs capacités.

Certification professionnelle

L'intention est de standardiser les compétences

En rendant interchangeables les personnes, la certification professionnelle cherche essentiellement à donner confiance aux recruteurs.

Problèmes avec la certification

  • Coût des formations professionnelles

La certification, en particulier dans le domaine de l'agilité, est gérée par des organismes qui recherchent le profit. Elle représente un gaspillage de temps et d’argent pour les entreprises. Elle pousse à adopter une méthode (par exemple SAFe), provoquant ainsi le retour à des processus lourds et l'appel à des consultants.

  • Perte du savoir-faire contextuel

Pour les travailleurs, la certification provoque une perte du savoir-faire contextuel, qui permet pourtant de mieux affronter les aléas du quotidien.

En conclusion sur l'individualisation, un extrait de Philosophie Magazine, par Juan Manuel Aragüés, « Désir de multitude », 2021 :

Le néolibéralisme, tout en s’efforçant de construire un sujet fortement individuel et doté de traits distinctifs très marqués, se fait également un devoir de rendre impossible la construction de sujets collectifs.

C'est cet individualisme que nous cherchons à déconstruire avec la Fresque de l'agilité.